Un fantasme bien ancré dans la culture collective
Bien avant la réalisation du premier laser, en 1960, et alors que personne à part une poignée de spécialistes n'était au fait de la prédiction par Einstein du phénomène d'émission stimulée (1917), le Laser « existait » déjà pour le grand public. En particulier, de nombreux auteurs de science-fiction ont fait appel à l'existence d'un rayon lumineux surpuissant et directif, capable de tout détruire sur son passage et souvent utilisé à cet effet par d'agressives puissances extragalactiques de compagnie peu recommandable.
Ainsi HG Wells, dans « la guerre des mondes » (en 1898 déjà !), décrit-il un « rayon ardent » préfigurant avec une impressionnante acuité nos lasers de puissance modernes : « On eût dit que quelque invisible jet les frappaient, et que du choc naissait une flamme blanche. Il semblait que chacun d'eux fût soudainement changé en flamme. Je demeurais stupéfait, ne comprenant pas encore que c'était la mort qui sautait d'un homme à un autre (...). J'avais seulement l'impression que c'était quelque chose d'étrange, un jet de lumière silencieux qui faisait s'écrouler, inanimés, tous ceux qu'il atteignait, et quand l'invisible trait ardent passait sur eux, même les pins flambaient et tous les buissons (...) s'enflammaient avec un bruit sourd »
Le rayon ardent est alors l'incarnation de l'arme absolue : jailli d'une sorte d'entonnoir ronronnant, un faisceau étroit comme une liane balaye la campagne environnante, détruisant tout sur son passage. Il n'est dès lors pas étonnant que ce fantasme de toute puissance (car le « rayon de la mort » atteint à distance, de façon ciblée et détruit rapidement et « proprement »), imprégnant la culture populaire de la première moitié du siècle dernier, ait conduit à des réactions surdimensionnées lorsque l'annonce de la réalisation pratique par T.Maiman du premier laser fut faite au public.
L'opinion publique s'enflamma pour la découverte : le mythe devenu réalité rendit lyriques même les plus sérieux des commentateurs scientifiques de l'époque : « Aussi lorsque la lumière naquit un jour d'un rubis stimulé, l'imagination populaire s'en étonna-t-elle moins que l'Académie des Sciences. L'austère physique lui semblait simplement rejoindre la séduisante alchimie » écrit M. Friedman (Science et avenir). Et d'ajouter plus loin : « Dans le cœur de tout cristal, il y a un rayon qui sommeille. Cette évidence (...) est héritée de tant de légendes fabuleuses que le public brûlait d'impatience d'en voir matérialiser les prodiges : le rayon derrière lequel l'herbe ne repousse plus, (...) l'indispensable « fulgurateur » pistolet à tuer joliment sans lequel les romans de science-fiction ne seraient que ce qu'ils sont ».
La réalisation même du phénomène d'émission stimulée, dans les laboratoires de Hughes à Malibu, Californie, se voit gratifiée d'une de--SS--ion enthousiaste par les journalistes : « Soudain, une lueur d'enfer se mit à régner à l'intérieur du rubis. Puis, de l'extrémité du cylindre, devenue cent mille fois plus brillante que la surface du soleil, jaillit un pinceau de lumière rouge, un faisceau parfaitement parallèle, impeccablement monochromatique (...) Silencieux, le professeur Théodore Maiman et ses assistants du laboratoire de la Hughes Aircraft Co restèrent un long moment fascinés par la beauté de ce spectacle que nul être humain, avant eux, n'avait encore pu voir. - Einstein avait raison, murmura le savant. La lumière peut être cohérente. ». En réalité, la seule chose observée par Maiman fut un rétrécissement du spectre de fluorescence, signature de l'effet laser certes, mais bien moins spectaculaire pour le profane