La montagne magique
Bou - Iblâne
La montagne légendaire
Souffle !Souffle ô Bou - Iblâne !
Rafraîchit l'air du plat pays
Car la belle n'est pas habituée à une telle chaleur !
Ô Bou - Iblâne ! N'était le froid, j'aurai planté ma tente sur ton sommet !
Le « Moussa Ou Saleh », le plus haut sommet de Bou-Iblân, culmine à 3215 mètres .
Tout un cycle de légende est lié au massif de Bou-Iblâne, enneigé et inhabitable en hiver. D'après une vieille légende « Moussa Ou Saleh » habitait Tlemcen. Il possédait un cheval et faisait preuve de prodiges. Un jour une fourmi l'a piqué. Il l'enferma alors dans un étui en roseau avec un grain de blé tendre. Au bout d'un an, elle n'a consommé que l'équivalent de sa tête de fourmi. Quand le Roi de l'époque l'a su, il ordonna séance tenante qu'on fasse venir « Moussa Ou Saleh ». Il s'adressa à ce dernier en ces termes :
- Puisque tu as emprisonné une fourmi innocente , tu seras emprisonné pendant un an !
- A vos ordres, Roi du Temps : jugez comme bon vous semble ! lui rétorqua « Moussa ou Saleh ».
C'est ainsi qu'il demeura en prison pendant un an. Il demanda à sa mère de bien prendre soin de son cheval, de ne l'engraisser que de blé, en le gardant à l'ombre, loin du soleil.
Le Roi, lui demande de choisir l'aliment qui sera le sien.
- Le lait dont je peux boire l'eau et manger le fromage..
Un jour, il leur dit :
- Il faudrait qu'on organise une fantasia !
Au jour de la fête,il sella son beau coursier couleur d'ébène et prit d'assaut les remparts. Observant son manège un gardien se met à crier :
- Moussa s'enfuit ! Moussa s'enfuit !
A chaque étape ses poursuivants demandent aux gens :
- Un cavalier, est- il passé par là ?!
Invariablement, on leur répond:
- Nous n'avons vu passer qu'un corbeau portant une laine blanche à son bec !
Le cavalier blanc continua ainsi sur son coursier noir jusqu'à la grande mosquée de Taza, où il fit ses prières. Il se dirigea ensuite vers le plus haut sommet de la région, où deux fossoyeurs ont déjà creusé une tombe :
- Que faites - vous ? leur demanda -t-il.
- Nous venons de creuser la tombe d'un homme de votre taille,. Veux - tu t'y mettre pour qu'on puisse mesurer si elle lui convient ?
- D'accord ! dit - il, en s'y glissant illico.
Ils lui firent alors sentir une fleur sauvage, et il en mourut d'une mort subite.
Voilà pourquoi, à en croire la légende, on appela ce sommet du nom de « Moussa Ou Saleh ». Historiquement le nom de « Moussa Ou Saleh » évoque la vieille rivalité entre le roi fatimide de Tlemcen et les Baou Saleh du royaume de Nokour, qui florissait sur la basse Moulouya au 10ème siècle. Cette lutte inégale, n'est sans doute pas étrangère au développement de la légende de « Moussa Ou Saleh »,le plus haut sommet du Moyen Atlas. La renommée laissée par Moussa est telle, que cinq cent ans après sa mort, il se trouve encore cité par Ibn Khaldoun au nombre des illustrations du peuple berbère.
Le chant du pays se rythme au tambourin
Le rythme de Bou Iblân scintille au firmament
La danse pastorale est une ondulation de la montagne
Hautes sont les cimes, limpides sont les sources
Drues, les vallées de la montagne à Meskaddal
Où chaque année, on célèbre les pâturages d'été...
Vertes, les prairies de la plaine d'Azaghar
Où chaque année, On célèbre les pâturages d'hiver...
Danse de la fraction Bni Waraïn des Bni Smint aux abords de Bou Iblân
La danse chantée symbolise tout l'art musical berbère et se nomme Ahidous , chez les Braber. Sa caractéristique est d'être une ligne ondulante. Cela symbolise - t- il l'ondulation des blés ? Ou bien plutôt celle des chaînes des montagnes ? L'Ahidous est la manifestation musicale et chorégraphique la plus complète de la montagne berbère dans le Moyen Atlas. Chez les Bni Waraïn, comme dans le reste du Moyen Atlas, le principal divertissement des adultes réside dans les réunions d'Ahidous, qui se forment parfois les soirs d'été au centre du village. Outre la rangée des participants, il y a le compositeur qui leur souffle le refrain qu'ils répètent indéfiniment, dénommé « Bou- izlân »,« bou-walloun ». Les danseurs esquivent rythmiquement les figures de l'Ahidous, entraînés par les « Bou-walloûn » - panctuant la courte et roque mélopée des notes brèves et sèches de leurs tambourins. Les joueurs se saisissent mutuellement les mains pour s'agiter ensuite en cadence avec frénésie.
« On ne pratique cet Ahidus , nous dit Raho Qafo qu'à la saison des fêtes qui a lieu aux mois de juillets, août, septembre. Le chant que nous venons d'exécuter fait allusion aux pigeons que nous élevons à la maison et que nous dérobe l'aigle de la montagne. »« Notre Ahidus renchérit pour sa part Halbaj Bennacer, appartient à la région Maghraoua - Bni Waraïn. Son ère d'extension englobe Ras - Laksar, Berkine et Bou - Iblâne. Arabisé dans les années cinquante, notre Ahidus allait mourir. Nous l'avons ressuscité dans sa langue d'origine. Symboliquement, il se distingue, par la tenue, la mélodie et le rythme. On se distingue surtout par la langue amazigh. Et même si nous faisons partie du Moyen - Atlas, notre berbère est différent de celui du Moyen - Atlas. Mais l'Ahidus des Maghraoua et du Moyen -Atlas sont identique ou presque. »
La similitude est frappante entre les belles mosaïques romaines de Volubilis et les tapis Bni Waraïn. Déjà, au 12ème siècle, Al Idrisi signale la qualité des laines produites en ce Moyen Atlas Oriental. Sous le règne du Sultan mérinide Abû Inan, les chroniqueurs vantent la beauté du tapis marocain, comparé aux parterres fleuris. C'est à l'art de tisser que se réduit toute l'éducation de la jeune fille Bni Waraïn . En ce Maroc des hauteurs enneigées, le tapis qui constitue le principal élément du trousseau de la mariée, permet une meilleurs isolation du sol. Au seuil de chaque maison, une air à battre. Au milieu de chaque air à battre, un poteau en bois de cèdre, auquel sont attachés, ânes et mulets, qui piétinent les gerbes en tournant en rond. C'est là, un procédé fort ancien, qu'on retrouve sur les bas-reliefs égyptiens. Pour séparer le bon grain de l'ivraie, on procède à l'aide de fourches au vannage, en lançant en l'air la paille que le vent porte au loin. Pour cette opération, le vent d'Ouest est considéré comme favorable : il n'y a pas de baraka dans les autres vents.
Les premiers Almohades semblent s'être intéressés à la surveillance du couloir de Taza, séparant le Gharb de l'Oriental, en fondant et entretenant régulièrement le ribât de Taza, considéré alors comme véritable plaque tournante séparant le Maghreb central du Maghreb extrême. C'est là que le pouvoir Béni Mérine fut instauré. Les troupes Almohades furent attaquées et poursuivis à Guercif. Après une telle déroute, la prise de Taza « verrou du Gharb et maintenant sa clé », devenait une simple formalité ouvrant la voie à la prise de Fès par les mérinides au mois d'août 1248. C'est au 12ème siècle que s'amorce l'invasion Zénètienne , s'avançant des Hauts Plateaux et de Figuig vers la Moulouya : c'est ainsi que sont arrivés à l'Est de Taza et dans la basse Moulouya, les Maghraoua, les Bni Waraïn, ainsi que les autres tribus Zénètes, dans le sillage des pasteurs - nomades Béni Mérines. Le territoire de ce qui reste des Maghraoua, se situe actuellement entre Taza au nord et le massif de Bou - Iblâne au sud. C'est Ziri Ben Âtia, chef des pasteurs Maghraoua, qui a fondé Oujda, en 994. Les Maghraoua formaient jadis, une principauté alliée aux mérinides, au temps d'Abû Al Hassan et d'Abû Inan, les fondateurs des médersas de Taza et de Fès. Ce qui reste des vestiges Maghraoua, ne constitue qu'une fraction des tribus Zénètes Bni Waraïn. Au 13ème siècle, le territoire des Bni Waraïn, qui s'adonnaient alors au pastoralisme, s'étendait, entre Figuig au Sud et la vallée de la Moulouya au Nord. Mohamed El Mardi nous raconte ainsi comment les Bni Waraïn s'étaient établis d'abord au aux Tankraramt,en haut de Bou Iblân: : "D'après nos anciens, les Bni Waraïn, étaient venus à l'origine de la région de Figuig et se sont établis au Tankraramt. Après y avoir séjourné là-haut des années et des années, ils ont commencé à se disperser : Certains en direction de Tazarine, d'autres ont descendu vers Matmata, ou sont restés au sommet de cette montagne. Il y a aussi ceux qui ont pris la direction des Maghraoua ou sont allés s'établir aux rivages du Melloulou. Ils ont essaimé dans toutes les directions. C'est pour cette raison qu'un vieux dicton dit : « celui qui n'est pas passé par Tankraramt n'est pas waraïni. » Et ce n'est à partir du 16ème siècle, qu'on retrouve enfin les Bni Waraïn fixés dans ce Moyen Atlas Oriental, à l'Ouest de Bou - Iblâne, sur l'emplacement précis où vivent encore aujourd'hui leurs descendants.